J’ai eu le plaisir de découvrir l’itinéraire d’un Agent de Changement : Maryannick Van Den Abeele le 16 juin à l’occasion de la journée « Au actes citoyens, de l’indignation » organisée par Sol France. Actuellement chef de projet à la direction du courrier de La Poste, elle est à l’origine d’une initiative pionnière : un réseau social pas comme les autres dit “Réseau d’Échanges Réciproques de Savoirs” (RERS). Dans ce retour d’expérience, la porteuse du projet nous décrit la façon dont son projet a émergé, comment elle l’a animé, les écueils qu’elle a rencontrés jusqu’à ce qu’il soit enfin reconnu et en phase de déploiement dans l’organisation.
Maryannick Van Den Abeele a mis en place ce réseau d’échanges réciproques de savoirs depuis plus de 4 ans au sein de La Poste Courrier. Ce concept de RERS est basé sur l’idée de l’échange de savoirs et savoir-faire entre pairs, en l’occurrence des managers. Au delà du transfert des connaissances, il doit favoriser le lien social et la coopération entre ces personnes. Le postulat d’un RERS est simple,…
- Chacun dispose d’un savoir
- Chacun peut transmettre son savoir
- Chacun peut recevoir un savoir d’un pair « principe de réciprocité ».
Ainsi, un membre du RERS n’est pas juste consommateur ou assisté , mais aussi un acteur qui propose une offre.
Après une expérimentation du RERS en milieu associatif, l’Agent de Changement de La Poste a ensuite proposé ce système à son employeur. Son premier pas pour construire ce projet a été de convaincre quelques dirigeants de La Poste, en commençant par un premier regard bienveillant (son mari, ex-dirigeant à La Poste). L’envie et la motivation étaient les clés de la réussite de ce projet. « L’Agent de Changement » s’est donné les moyens de réussir et a eu la chance de croiser un DRH et un Directeur Industriel ouverts à l’expérience et acceptant de le mettre en situation au sein de deux unités opérationnelles.
Au début de cette petite étude « l’Agent de Changement » a vu beaucoup d’enthousiasme chez les opérationnels participants au test. L’expérience a eu des résultats positifs mais l’environnement de La Poste était très chahuté. La Poste s’ouvrait à la concurrence et les top-managers avaient d’autres priorités. Le projet RERS n’a donc pas été une priorité.
« il n’est pas simple de mettre en place un système qui vient heurter un certain nombre d’habitudes culturelles dans l’entreprise » témoigne la Responsable. Ceci provoque une résistance classique au changement. Nous pouvons utiliser dans ce cas la métaphore de la bactérie et des globules blancs. En quelque sorte, le RERS était comme une bactérie entrant dans un corps non préparé. Le corps crée des globules blancs pour détruire cette bactérie. De plus,, au sein d’un environnement classique où « savoir = pouvoir », le RERS venait perturber la culture de l’entreprise.
Concrètement, au sein du RERS de La Poste, le processus de partage est structuré. Le réseau possède sa propre charte d’usage. Un nouvel inscrit doit avoir au moins une offre et une demande de savoirs professionnels pour respecter l’esprit de réciprocité du RERS. Les offres, demandes et coordonnées des participants sont centralisées sur un site extranet. Pour permettre une grande confidentialité les offres et demandes peuvent être restreintes à certaines catégories de population. Ceci permet de lever des appréhensions et des inhibitions.
Il existe, actuellement, deux modes d’entrée dans le RERS :
- des « bourses d’échanges » : des rencontres physiques
- « un site intranet » : un support informatisé des processus du RERS
Dans les deux cas, ceci permet de formuler ses demandes / offres (en temps réel pour la bourse d’échange), de mettre en relation, de définir le contenu de l’échange. Les bourses d’échanges sont aussi un moment d’accompagnement du changement, 3/4 des personnes informées se sont inscrites.
Avec le recul, et malgré la disponibilité d’une plateforme informatisée du support du RERS, le chef de projet s’est rendu compte que le système est avant tout basé sur la rencontre, et quelques tendances se sont dégagées. Le public est en majorité des hommes de plus de 50 ans, peu férus d’informatique. « La plupart des personnes qui entrent en relation se sont rencontrées dans une bourse d’échanges plutôt que sur le site ». Le réseau compte actuellement 1150 participants recrutés par le bouche a l’oreille. 3800 offres et demandes ont été échangées. 2200 échanges effectués dont 700 par le site intranet avec 90% d’impact positif . 44% des offreurs ont préparé leurs échanges pendant 30 min à 1h. Les échanges sont assez ciblés avec une durée classique d’échange variant de 1 à 2h en une seule séance. L’échange est souvent transverse: 60% des échanges se font entre collaborateurs de fonctions différentes. Enfin certains domaines ont concentré une bonne majorité des échanges de savoirs et savoirs faire :
- organisation/ production (25%)
- informatique (23%)
- RH / relation social (15%)
De ce point de vue « Le RERS est un levier pour résoudre ses problèmes et se créer un réseau que l’on peut solliciter à tout moment » observe l’Agent de Changement. Mais le chemin d’expérimentation n’a pas été simple. Maryannick est un Responsable sans équipe. Pour combler la « solitude » et combattre le découragement elle allait sur le terrain rencontrer les utilisateurs. Une simple rencontre autour d’une pizza avec les utilisateurs renforce les liens et la confiance. Les rencontres avec des personnes externes à l’entreprise ont aussi permis au chef de projet de se ressourcer. Cet exercice présente un miroir très positif des actions, les retours étaient même porteurs de nouvelles idées. L’ambition maintenant serait de créer un RERS inter-entreprises.
Ce projet est une expérimentation réussie, aujourd’hui en cours de déploiement plus large au sein de La Poste, avec un vrai « sponsor ». Mais le chef de projet a tout de même obtenu la mise en place d’un réseau d’animateurs locaux pour propager et animer les réseaux au niveau des départements. La route est encore longue pour une réelle adoption. Tout ce projet tiens encore à l’envie et opiniâtreté de la porteuse de projet. Ce projet a reçu la reconnaissance de ses pairs à l’extérieur de l’entreprise en recevant le prix « coup de cœur » du jury lors de la cérémonie de l’Initiative RH 2011 et il est l’objet d’un livre à paraître: « échange réciproques de savoirs en entreprise, un réseau au service de l’entreprise responsable » de Maryannick et Michel Van Den Abeele, édition chronique sociale.
En conclusion
Les phases du projet ont été les suivantes : convaincre, expérimenter, communiquer et déployer
- « Convaincre » : ciblant les « favorables » afin d’avoir des premiers retours enrichissants et positifs, galvaniseurs de la suite
- « Expérimenter » sur des cas réels, en petits comités (quick wins)
- « Communiquer » en interne et vers l’extérieur, une certaine maturité est alors acquise pour atteindre cette phase
- « Déployer » nécessite une véritable reconnaissance et légitimité, après avoir fait ses preuves.
Ce retour d’expérience est riche d’enseignements tant au niveau de sa méthodologie que dans la description des freins et des opportunités. Ceci peut être transposé tel quel dans l’expérimentation/ mises en place d’une communauté de partage et réciprocité tel un espace collaboratif, un réseau social d’entreprise… Nous y retrouvons les besoins classiques d’expérimenter pour prouver un concept. Même si nous retrouvons aussi les freins classiques : « savoir = pouvoir », « le besoin de contrôle » du management, nous retrouvons, aussi, les graines de la réussite dans la construction de la confiance et de la réciprocité.